Le sommeil et les rêves* |
Depuis l'Antiquité, les rêves ont souvent fait figure de messages divins. Présages des dieux ou augures prémonitoires dans de nombreuses civilisations, les rêves continuent à susciter curiosité, interrogations et fascination.
Dans la mythologie grecque, Morphée, dieu des rêves, est le fils d'Hypnos, dieu du sommeil et de Nyx, déesse de la nuit. Tout comme son père, Morphée, avait le pouvoir d'endormir. Considéré comme le dieu des songes prophétiques, il pouvait, grâce à ses ailes, parcourir le globe pour se rendre auprès de ceux qui cherchaient le sommeil. Il lui suffisait de remuer la tige de pavot pour les endormir profondément. Pour accomplir ses prophéties, il apparaissait aux humains pendant leurs rêves en prenant la forme d'un être qui leur était cher. La légende relate qu'il a été foudroyé par Zeus pour avoir communiqué des secrets aux mortels.
Le rêve désigne un ensemble de manifestations neuro-psychiques vécues au cours du sommeil. Il se caractérise par des images détaillées, au contenu plus ou moins cohérent, comportant des scènes, des personnages, des dialogues et des émotions. Chez l'adulte, le rêve occupe environ 20 % du temps total de sommeil, 45 à 65 % chez le nouveau-né, 20 à 25 % chez le jeune adulte et 13 à 18 % chez la personne âgée. L'activité onirique la plus élaborée se situerait au cours de la phase de sommeil paradoxal.
Pendant des décennies, le rêve était associé au sommeil paradoxal. David Foulkes(1), psychologue cognitiviste, en 1991, a démontré que l'on pouvait rêver durant le premier cycle de sommeil lent, c'est-à-dire avant le premier épisode de sommeil paradoxal. Les premières enquêtes révèlent que dans 6 à 15 % des cas, les dormeurs réveillés durant leur sommeil lent se souviennent avoir rêvé. Tout récemment, une équipe de chercheurs français a supprimé expérimentalement les périodes de sommeil paradoxal chez 14 patients, grâce à un antidépresseur réputé pour inhiber cette phase du sommeil(2). Ces patients ont narré le récit de leurs rêves dans 80 % des réveils.
L'existence de récits de rêves après réveil, à tous les stades du sommeil et à toutes heures de la nuit, est aujourd'hui admise par la quasi-totalité des spécialistes. Les rêves les plus vifs et les plus riches en images se produisent néanmoins durant le sommeil paradoxal. En phase sommeil lent, leur remémoration semble plus difficile. Dans tous les cas, le rêve qui survient le plus aisément à la conscience est celui qui précède immédiatement le réveil.
Bien que chaque nuit soit riche en activité onirique, le souvenir du rêve n'est pas systématique. Souvent évanescent, il est parfois inexistant. Si le dormeur n'est pas réveillé au cours d'un rêve, les souvenirs du scénario en cours ne seront pas transférés dans la mémoire consciente, et au réveil, il n'aura aucune réminiscence du rêve.
Durant le sommeil, l'activité mentale est particulièrement dense. Elle se présente soit sous forme d'hallucinations lors du sommeil paradoxal, soit sous forme de pensées, sans véritable contenu hallucinatoire, lors du sommeil lent. Michel Jouvet(3) note que l'activité mentale continue pendant le sommeil et que les rêves incorporent des éléments de notre vie diurne.
Marcel Proust aux prises avec l'insomnie, prête une attention particulière au sommeil et au rêve. Le roman proustien, confère un rôle primordial au sommeil, à l'activité onirique et au souvenir affectif comme mobilisation de l'activité créatrice. Pour lui, le rêve possède une fonction de « muse nocturne », il est à la base de son propre processus créateur.
Alfred E. Van Vogt, écrivain de science-fiction, devenu célèbre avec son best-seller Le Monde des A(4), se faisait réveiller dans la nuit chaque fois qu'il était en manque d'inspiration. Il se levait et consignait le récit de ses voyages oniriques qu'il utilisait pour enrichir ses romans.
Certains sujets produisent une activité onirique assez dense jusqu'à en garder une forme de conscience, d'autres en rapporteront quelques fragments, d'autres encore affirment ne jamais rêver. En réalité, il est probable que nous rêvions tous et même chaque nuit, sans s'en souvenir. Si le rêveur n'a pas de réminiscence de ses songes au réveil, ou s'il y accorde peu d'intérêt, il est probable qu'il en perde toute trace.
S'entraîner à la remémoration onirique est possible. L'une des techniques consiste à consigner ses rêves par écrit dès le réveil. Rédiger son journal favorise la souvenance des rêves.
Pour S. Freud(5), le rêve serait la « voie royale de l'inconscient ». Loin d'être un phénomène absurde ou magique, il possèderait un sens à élucider et permettrait de mieux connaître la nature d'une névrose. Il propose la méthode propre à l'interprétation analytique : l'association libre, l'un des piliers essentiels de la pratique psychanalytique. Les rêves exprimeraient pour les psychanalystes, l'équivalent de l'accomplissement d'un désir inconscient, refoulé, traduit de façon symbolique. Ils relateraient des impressions vécues durant la journée et des souvenirs plus anciens qui sont transformés ou déguisés pour échapper au contrôle de la conscience.
Pour C.G. Jung, le rôle du rêve dans la psyché diffère de la perspective freudienne. Jung explique que la fonction générale des rêves est d'essayer de rétablir notre équilibre psychologique à l'aide d'un matériel onirique qui, d'une façon subtile, reconstitue l'équilibre total de notre psychisme. Pour lui, le rêve participe au développement de la personnalité et lie le sujet à ce qu'il nomme "l'inconscient collectif".
Les bases neurobiologiques du rêve ne semblent pas converger en faveur de ces théories. Les cliniciens du sommeil accordent peu de valeur aux contenus des rêves. Pour les scientifiques, le rêve est considéré comme une simple réaction physiologique provoquée par les sensations venues du corps et de l'environnement et chercher à les interpréter relèverait de la pure fantaisie. Les images seraient une conséquence des réorganisations de la mémoire pendant la nuit.
La façon dont se construit l'activité mentale au cours du sommeil reste assez énigmatique. Les processus cognitifs mis à jour continuent à faire l'objet de recherches. Celles-ci sont davantage orientées vers la neuropsychologie, l'imagerie cérébrale (I.R.M.), la psycholinguistique.
Il est indéniable qu'en période de stress, certains rêves contiennent un matériel plus anxiogène.
L'entreprise dans laquelle travaille Géraldine est menacée par la crise et son poste risque d'être supprimé. Ses rêves sont peuplés de cauchemars qui, au réveil, lui procurent toutes sortes de malaises physiques, dont de fortes migraines.
Les cauchemars sont de nature à provoquer des troubles physiques. C'est la conclusion d'un psychiatre de l'Université McGill à Montréal, sur la base d'études effectuées chez des patients souffrant de maladies psychosomatiques(6). Certains traumatismes peuvent induire des cauchemars récurrents dont le contenu est directement lié au choc.
Catastrophes naturelles, guerre, accidents, chocs et attentats terroristes sont responsables du syndrome post-traumatique. Répétant les événements traumatiques du passé, les rêves liés au syndrome du stress post-traumatique se produisent en dehors du sommeil paradoxal, généralement au cours de la première moitié de la période de sommeil(7).
Les reviviscences sont considérées comme des réactivations à la conscience d'informations traumatiques qui n'ont pas été digérées. Les images tentent d'être intégrées par l'organisme et reviendront jusqu'à l'intégration complète. Pour Sigmund Freud, elles apparaîtraient au rêveur comme un rappel à l'ordre afin qu'il résolve son problème.
Le seul moyen de guérir d'un traumatisme est de parvenir, après le traitement, à ce que ces mêmes images sensorielles soient rattachées à des contenus cognitifs différents ou neutres sur un plan émotionnel. Il est aujourd'hui possible, à travers différentes méthodes, de réduire, voire se libérer du trop-plein d'un contenu traumatique.
Alvaro Pascual-Leone, professeur en neurologie au Harvard Medical School, a démontré, à travers ses nombreux travaux et publications en neurosciences, que sur le plan physiologique le cerveau ne différenciait pas le réel de l'imaginaire : "la seule pratique mentale semble être suffisante pour favoriser la modulation des circuits neuronaux impliqués dans les premières phases d'acquisition des automatismes moteurs", écrit-il en 1995.
La sophrologie utilise l'état de conscience modifiée pour calmer le système sympathique et activer le para sympathique, ce qui permet d'avoir accès à un réservoir de ressources nouvelles. Ainsi, les représentations mentales anxiogènes sont reléguées au second plan, au profit de perceptions, pensées et ressentis agréables (respiration, sensation de chaleur, de détente, etc.).
À partir de récits de cauchemars, on imaginera mentalement une version positive qu'il s'agira de visualiser avant le sommeil. Le patient se représente un avenir agréable et paisible. Devenu acteur, il utilise son imagination active pour transformer la situation anxiogène. Il peut ainsi se familiariser avec ses représentations qui sont, jusque-là, vécues comme menaçant son intégrité. Il en résulte une plus grande circulation d'énergie vitale et psychique générant un changement d'état et un meilleur équilibre intérieur. En prenant l'habitude de transformer ses images angoissantes en images de bien-être, il habitue ainsi son inconscient à une nouvelle programmation mentale et il s'en libère.
Géraldine a pu, grâce à la sophrologie, retrouver un sommeil réparateur et un nouvel élan pour partir à la recherche d'un emploi.
*Par Michèle Freud, Psychothérapeute,
auteur de Se réconcilier avec le sommeil, Ed. Albin Michel
et Enfants, ados, les aider à dormir enfin, Ed Albin Michel
(1) Les paradigmes de la conscience dans le sommeil, Wayne State University, Detroit, MI (2) Hors Série, Sciences et Vie, mars 2013 (3) Le sommeil et le rêve, Éd. Odile Jacob (4) Le Monde des A, traduit de l'américain par Boris Vian, Hachette et Gallimard, coll. Le Rayon fantastique, 1953 (5) Die Traumdeutung, 1900 (6) Joseph de Koninck, hors-série Sciences et Vie, n°202 (7) Les mécanismes du sommeil, Presse de la Cité, 2007
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