LA PEAU DANS TOUS SES ETATS* |
" Ce qu'il y a de plus profond en l'homme, c'est la peau. " Paul Valéry |
De tous temps, à travers l'histoire, la peau a fait l'objet de soins particuliers : maquillage, massages, piercing, marquage, tatouage lui confèrent une fonction identitaire, une appartenance à un groupe, une caste, une religion, une ethnie.
Interface entre notre intimité et le monde extérieur, elle est aussi le porte parole de notre inconscient. Reflétant notre état psychique et notre santé en général, la peau est le plus sensible de nos organes. « Etre mal dans sa peau », « avoir les nerfs à fleur de peau », nombreuses sont les métaphores à utiliser la peau comme marqueur somatique.
Aujourd'hui, le lien entre les réactions physiologiques et psychologiques s'explique scientifiquement. Notre cerveau joue en effet un rôle capital dans le processus de notre fonctionnement psychique. Le système nerveux central dépend de la régulation de l'organisme et de nos comportements. Toutes nos émotions sont accompagnées de modifications physiologiques et chacun met en place une stratégie d'ajustement pour gérer son émotion. Quand un événement déborde notre capacité à faire face, le psychisme se fige. Le cerveau, alors submergé de tensions, décharge alors son trop plein sur nos organes, les émotions imprègnent nos fibres. La conscience n'a pas d'autre alternative que d'inscrire la douleur dans le corps : c'est le principe du processus de somatisation.
Une somatisation est une projection sur le plan corporel des perturbations émotionnelles. L'organisme se comporte tel un miroir de l'âme : quand l'affectif est secoué, c'est l'énergie de l'organe qui en pâtit.
On appellera souvent la peau au secours quand il nous manquera les mots pour le dire : « Quand ça ne passe pas par la bouche, il faut bien que ça passe ailleurs ! » écrit Groddeck, contemporain de Freud, considéré comme le père de la médecine psychosomatique, et auteur attentif du langage du corps vécu.
Ce qui est tu, réprimé, s'exprimera à même le corps chargé de supporter tous ces silences. Il se fait l'écho de nos frustrations et tourments dont nous ne sommes pas toujours conscients.
Ces affections concernent aussi les enfants. Du fait de son immaturité psychique, incapable de parler de son mal-être, le nourrisson va par exemple exprimer sa détresse avec l'eczéma.
De récentes découvertes ont montré que les cellules cutanées forment avec les terminaisons nerveuses présentes dans la peau de nombreuses connexions. Par le biais de petites molécules appelées neuromédiateurs, elles échangent en permanence des informations. Ainsi une vingtaine d'entre elles, communes à la peau et au cerveau, ont été recensées.
L'épiderme s'exprime aussi à travers des sécrétions de molécules, les glandes sudoripares, sébacées ou apocrites. L'hypothalamus réagit à un choc, en déclenchant toute une série de réactions : accélération cardiaque, montée d'adrénaline, etc. Si l'affect est positif (joie, bonne nouvelle), les vaisseaux se dilatent, le sang afflue, la peau rougit et se réchauffe. Si, au contraire, l'émotion est négative, (appréhension, peur, etc.), les vaisseaux se rétractent, la peau se refroidit et pâlit.
Nous connaissons tous ce lien subtil entre la peau et nos états d'âme. Organe sensoriel traduisant nos sentiments, la peau, jonction entre le « dehors » et le « dedans » est le lieu privilégié de l'expression émotionnelle. Quand nous sommes anxieux, angoissés et que nous nous trouvons dans l'impossibilité de verbaliser notre peur, celle-ci se traduira par une allergie ou par tout autre message.
Ainsi, à chaque première représentation, le comédien Louis Jouvet déclenchait, du fait de son trac, une poussée d'eczéma paroxystique.
Une forte frayeur peut entraîner un blanchiment prématuré des cheveux ; ceux de Marie Antoinette, épouse de Louis XVI, blanchirent en une nuit, l'avant veille de son exécution relate l'histoire.
La peau n'est pas seulement une enveloppe, une barrière entre le monde extérieur et notre corps, elle est également le support du cinquième sens : le toucher qui accorde une importance primordiale aux sensations et au ressenti. Liée à la vie affective et au plaisir et ce, dès la naissance à travers les échanges tactiles avec la mère, elle est un organe privilégié dans la relation.
Les contacts peau à peau entre la mère et le nourrisson, les caresses données, les massages prodigués sont essentiels au développement harmonieux de ce « Moi peau » décrit par le psychanalyste Didier Anzieu. Ils libèrent entre autres dopamine et endorphines, ces fameuses hormones du plaisir qui nourrissent notre corps de façon positive et renforcent notre système immunitaire.
Mémoire du toucher, des câlins maternels, des réminiscences de joie et de tendresse, la peau garde aussi la trace des absences, des douleurs, des blessures de la vie et de tout ce qui se passe à l'intérieur de soi.
Certains, à défaut d'avoir reçu une nourriture affective suffisante durant l'enfance, garderont une certaine fragilité psychique et seront par exemple davantage prédisposés à une maladie de peau.
"C'est l'âme qui doit être traitée en premier lieu avec la plus grande sollicitude, pour que le corps s'en trouve soulagé" déclarait Platon qui, déjà, avait pressenti le lien étroit existant entre le corps, la peau et la sérénité de l'âme.
Dans l'analyse et le traitement du symptôme, personnalité, histoire de vie et vulnérabilité seront à prendre en compte. Il importe de pouvoir être à l'écoute de nos vrais besoins, mais aussi de prendre conscience de la source de nos déplaisirs et chercher à en diminuer leur présence par des actions concrètes.
Massages, attention à soi, détente, relaxation ou toute autre forme de soins pourront être préconisés à titre de réparation symbolique.
Savoir se relaxer, apprendre à bien respirer, à lâcher prise, cultiver une philosophie du plaisir et un esprit zen sont des soins de restauration à intégrer dans une hygiène de vie au quotidien pour se sentir mieux dans sa peau, mieux dans sa vie.
*Par Michèle Freud, psychothérapeute, directrice de Michèle Freud Formations
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