« J'ai été une petite rondelette et une ado plutôt boulotte. Mon poids a toujours été un problème. Il y a un an à la suite d'un long régime, j'ai perdu 12 kilos, j'ai changé totalement ma garde-robe. Selon mon entourage, je suis une autre femme, les hommes me regardent (ce qui me fait tout drôle d'ailleurs) mais je me vis et je me vois encore comme une ronde, voire une grosse. Comme si mon vrai corps n'était pas celui que je vois dans le miroir. Je me trouve objectivement plus jolie, mais je ne suis pas vraiment à l'aise dans mon nouveau corps.
Ce qui est en jeu : Comment être soi dans un nouveau corps ?
Le corps n'oublie rien, il est notre mémoire la plus profonde et traduit métaphoriquement l'état de notre être. L'image n'est que le reflet de ce qui se passe dans notre tête, c'est une sorte de représentation de soi. Ce que Lili voit dans le miroir, ce n'est pas elle, mais une certaine image d'elle même. Qui suis-je ? Moi, telle que je suis aujourd'hui, ou telle que j'étais hier ? Manifestement, Lili a vécu une modification de son schéma corporel sans accompagnement thérapeutique, aussi n'arrive t-elle pas à habiter son nouveau corps qu'elle vit comme un locataire d'un appartement qu'il n'arrive pas à faire sien.
Comment amorcer le changement :
Pour s'approprier son nouveau schéma corporel, je suggère des exercices de réhabilitation très simples, à pratiquer quotidiennement. Se masser, se passer de la crème sur tout le corps en prêtant attention à son ressenti physique et émotionnel, se regarder dans le miroir (pour associer image et ressenti). Je préconise également toutes les techniques qui favorisent la restauration de l'image de soi, (la sophrologie, par exemple, l'attention sur le souffle, la danse, le taï chi.etc.). Ces pratiques aident se recentrer sur son corps, et renforcent le sentiment d'exister dans une unité corps-esprit. Elles opèrent également une réconciliation entre l'image et les sensations corporelles ainsi qu'une réduction du discours intérieur d'auto-dépréciation.
« Quand je regarde les photos de moi à 20 ans, je me dis que je n'avais aucune conscience de mon image, j'étais jolie et mince, mais à cette époque je n'étais pas bien dans ma peau. J'étais à la fois peu sûre de moi et très agressive. Aujourd'hui j'ai mûri évidemment, je suis plus en paix avec moi, mais je ne me plais toujours pas. Le temps a passé, j'ai eu deux enfants, ma silhouette s'est alourdie, ma peau n'est plus ferme. je me dis que finalement on n'est jamais content de soi. »
Ce qui est en jeu : La dissociation entre le corps et le mental,
L'image du corps est la synthèse vivante des expériences émotionnelles d'une personne, dans ses relations aux autres, depuis sa naissance et même depuis sa conception.
Certaines personnes se jugent avec une extrême sévérité. Elles ne sont jamais ni assez minces, ni assez jolies, ni assez élégantes. Cette exigence excessive prend racine dans l'enfance. Faute d'avoir eu d'un regard rassurant et valorisant elles passent leur temps à comptabiliser ce qui leur fait défaut. Au lieu de vivre dans le moment présent, dans le ressenti intime du corps, elles vivent dans leur mental.
Comment amorcer le changement : Il s'agit d'arrêter de se fixer des objectifs irréalisables et de faire taire son (impitoyable) un juge intérieur. Ce n'est qu'à cette double condition que l'on peut intégrer la notion de plaisir dans sa vie. Notre corps réclame écoute et respect. Il faut tenir compte de ses besoins, mais aussi des désirs de notre psychisme pour être en accord avec notre être dans sa globalité. Je commencerai par conseiller à Isabelle de dresser la liste de tout ce qu'elle a réalisé de positif et de plaisant dans sa vie grâce à son corps, puis de s'interroger sur ce dont il a besoin, pour lui offrir chaque jour une attention particulière : un soin, du repos, une activité physique, plus de douceur et de plaisir etc. C'est en faisant régulièrement l'expérience de sensations agréables et apaisantes que l'on apprend à se sentir bien dans son corps.
« Quand j'essaye un vêtement, j'entends la voix de ma mère : trop moulant, trop ordinaire, tu n'es pas assez grande, pas assez mince etc. Ma mère était très belle, très mince, elle a fait de la danse classique jusqu'à 50 ans. Pour m'affirmer et échapper aux comparaisons, j'ai pris le contre-pied : look très nature, sportif, pendant des années je cela m'a parfaitement convenu. Aujourd'hui où j'aimerais me sentir plus femme, plus désirable, je ne sais pas comment m'y prendre, je me vois toujours avec ses yeux. »
Ce qui est en jeu : L'ambivalence des sentiments
« Qui suis-je vraiment ? L'enfant idéale que désirait ma mère, ou bien celle que je veux être vraiment ? » Il est très difficile de se séparer d'un regard parental sévère, ou que l'on a vécu comme tel, et de l'idéal élevé qu'il implique pour soi-même en tant qu'enfant. Il n'est pas facile non plus de rivaliser avec une mère « parfaite » et toute puissante que l'on place sur un piédestal, quitte à se faire toute petite, invisible pour qu'elle puisse conserver son rôle de « reine ».
Comment amorcer le changement :
Il est essentiel de commencer par se mettre à l'écoute de sa voix intérieure et de se questionner : « Qui parle ? Est-ce moi-même ? Ou est-ce la voix (ou l'empreinte) de ma mère ? » Dans un second temps, je conseillerais à Marion de se demander ce qu'elle souhaite vraiment pour elle. Si elle n'y arrive pas toute seule, un soutien thérapeutique pourra l'aider à restaurer une image de soi qui a été mise à mal, il l'aidera également à se connecter à ses ressources intérieures réelles pour qu'elle découvre ses points forts et sa singularité. Je lui demanderais aussi de choisir ses vêtements avec une attention toute particulière, de se centrer sur son allure, sur sa manière d'être, mais aussi de réfléchir à ce signifie pour elle « être plus femme ». C'est en se centrant sur elle, sans se comparer à sa mère, en élaborant son propre code de valeurs et de goûts, qu'elle pourra devenir l'auteur exclusif et épanoui de son scénario de vie.
« Lorsque je me regarde, je trouve mon nez trop fort et mes yeux trop petits, quant à mon corps, je trouve le bas trop lourd, par rapport à mon buste menu. Je n'ai jamais cru aux compliments qu'on me faisait, ni de la part des hommes, ni de la part des femmes. J'ai rencontré un homme il y a 6 mois, il me regarde avec désir et ne tarit pas de compliments sur moi. J'aimerais le croire, mais je n'y arrive pas, il faut dire que pas une fois dans mon enfance ou dans mon adolescence je n'ai reçu un compliment de la part de mon père ou de ma mère. Forcément, ça doit laisser des traces.
Ce qui est en jeu : L'absence de reconnaissance dans l'enfance L'image que nous avons de notre corps est déterminée par la façon dont nous avons été aimés, valorisés durant l'enfance. Les critiques dont on accable notre visage ou notre corps, révèlent la plupart du temps davantage des problèmes d'identité non résolus que de réelles disgrâces physiques. Loin d'être une réalité objective, cette image du corps est façonnée par nos idéaux, par nos attentes déçues ou comblées, par des paroles, des gestes, des regards aimants ou distants. Si l'expérience a été négative, nous devrons apprendre à l'âge adulte à nous accepter, à nous aimer, pour nous réconcilier avec notre image.
Comment amorcer le changement : En comprenant que si l'on ne peut changer le passé, il nous appartient de modifier le regard que l'on porte sur lui. Nous pouvons nous procurer à l'âge adulte ce dont nous avons manqué enfant. Marion a visiblement souffert d'absence de signes de reconnaissance, .Pour combler ces manques, elle pourrait par exemple prendre l'habitude de se complimenter (elle acceptera mieux ceux des autres), de formuler des phrases positives à son égard (pourquoi ne pas les écrire dans un petit carnet pour pouvoir les relire régulièrement ?), cela l'aiderait à devenir progressivement plus bienveillante envers elle-même. Elle pourrait également apprendre à se traiter avec douceur. Il suffit souvent de petits riens pour opérer de grands changement : consacrer chaque jour un peu de temps à la respiration consciente, prendre le temps de recharger chaque jour son réseau sensoriel (regarder, toucher, humer, goûter, écouter en se concentrant sur un seul sens à la fois) s'offrir des petits plaisirs : un bain parfumé, une séance de massage ou de maquillage, un vêtement de qualité. Tout cela contribue à faire la paix avec soi et avec son passé.
« Je peux me décrire : mince, taille moyenne, yeux noisette, cheveux châtain clair mi-longs, teint pâle, traits réguliers . mais je n'ai pas une image précise de mon apparence. Je me trouve fade, presque invisible. Une amie m'a dit un jour : tu es jolie mais tu ne le sais pas. Je ne sais même pas si je suis jolie. Parfois j'aimerais être plus affirmée, plus visible dans mon apparence.
Ce qui est en jeu : La fragilité de l'identité
Le Moi se construit dans les échanges corporels « mère-enfant », ce sont eux qui nous fondent dans notre sentiment d'exister, puis d'être un individu, complet et singulier. Il se peut que la sensation « d'invisiblité » de Sophie provienne d'une carence datant des premiers temps de l'enfance. Cette fragilité d'identité créée une confusion entre le dedans et le dehors, le moi et le non moi, ainsi que l'impression de ne pas être propriétaire de son corps.
Comment amorcer le changement :
Je commencerais par suggérer à Sophie de mettre des photos d'elle dans sa maison pour commencer à se voir. Je lui conseillerais également de porter des vêtements colorés, « visibles », de porter un parfum très « personnel », mais aussi de se prodiguer des soins réguliers, comme par exemple, se masser chaque jour avec plus d'attention devant un miroir. Les massages ainsi que les soins de kinésithérapie ou de balnéothérapie sont très efficaces pour se réapproprier son corps. Non seulement ils procurent un vrai bien-être physique et émotionnel, mais ils valorisent le corps que l'on néglige trop souvent. Certaines activités comme le théâtre, la danse ou l'expression corporelle aident à l'affirmation de soi, à l'émergence d'une nouvelle conscience de ses ressources et de ses talents, mais elles permettent aussi au corps d'exprimer des émotions enfouies.
Flavia Mazelin Salvi
Avril 2007