COUPER LE CORDON*Guérir de nos dépendances affectives |
Lorsque la nécessité d’une séparation se profile, des sentiments mitigés surgissent.
Sur le bonheur de découvrir autre chose, ailleurs, en d’autres compagnies, se greffe le regret de quitter ce qui « ici » nous a soutenu. Ces sentiments puisent leur origine dans la toute petite enfance et, au-delà, dans la complexité de l’histoire familiale.
Certains souvenirs enfouis transmis en héritage d’une génération à l’autre se manifestent là où l’on ne les attendait pas. Sous des formes elles aussi inattendues, ils perturbent le quotidien et compromettent la réalisation de certains projets. Ainsi, un voyage inattendu, nous rappelant à notre insu à la douleur de la disparition ignorée d’un ancêtre, peut réveiller une « souffrance impensée ». Celle-ci rend alors plus complexe, et peut-être aussi plus urgente, la nécessité vitale de… couper le cordon.
Une mise à la retraite (espérée), un licenciement (redouté), l’éloignement d’un ami, la fin des vacances, sont synonymes d’appréhension du devenir… Même le malade hospitalisé, heureux de recouvrer la santé ou d’en finir avec un traitement lourd, peut sortir de l’hôpital avec une pointe de regret teinté de mélancolie. Il est dur de se détacher de qui vous a aimé ou a pris soin de vous. L’enfant insatisfait de son sort qui réclame la pension ne quittera pas sans peine le domicile familial… fut ce pour une semaine. Et le jeune bachelier fier du sentiment d’autonomie que lui communique son diplôme se sent triste de tourner le dos aux années lycée. Ces situations, pour le moins paradoxales, en évoquent de précédentes, elles-mêmes dépendantes de la relation maternelle primordiale dans laquelle s’inscrit et s’alimente, plus ou moins, pour chacun de nous, un sentiment d’abandon.
Quand la séparation entre en écho avec ces instants de vie premiers, qu’elle les ravive avec plus ou moins de douleur, d’intensité, de délice ou de cruauté, elle nous révèle plus dépendant que nous aimerions le (faire) croire. Non que nous ayons (tous) fait l’objet d’un abandon véritable, mais parce que la séparation première, aussi difficile qu’indispensable à la vie, et les premiers pas vers l’indépendance, n’ont pu se passer, dans le meilleur des cas, sans douleur.
Alors que l’être humain aspire à grandir, à se développer, à se conduire dans la dignité, voilà qu’à l’occasion d’un départ, d’une absence ou d’un retard, plus ou moins anodin, les traces de « drames intimes » resurgissent de l’inconscient et alourdissent le présent en faisant peser le doute sur nos forces d’action et de réaction. Elles nous handicapent, et orientent notre conduite dans un sens que nous n’aurions pas voulu, pas cru, pas pensé, souhaité lui donner. Le divorce que l’on espérait serein et sans dommage pour les enfants menace de se transformer en pugilat. Le départ du petit dernier dans la meilleure des colonies de vacances, projeté jusqu’à la veille dans la joie et la bonne humeur, s’avère être source d’une détresse inouïe. Le retard de l’amant merveilleux nous persuade de sa mort ou de notre disparition irrévocable de son univers, et le changement de poste dont nous avions rêvé s’annonce… un crève-cœur.
Appréhension, tristesse, regret, vapeur, vertiges, fébrilité, colère, perte de substance ou de combativité, menacent de transparaître. Nous cherchons à les dissimuler. Ils insistent, obstruent notre ciel et transforment un moment de rêve en cauchemar. Les projets s’écroulent, nos forces nous abandonnent ! Nous en souffrons et le cachons, n’imaginant pas un seul instant que peut-être « l’autre », en face de nous, est saisi du même désarroi, lui dont la vie semble si lisse… que la pensée que la nôtre puisse paraître à ses yeux encore plus lisse… ne nous frôle pas !
Il suffit parfois de reconnaître notre part de détresse, d’en admettre la légitimité, d’en dénouer quelques causes, pour rendre ses couleurs à notre vie quand le ciel s’obscurcit, et lui insuffler une énergie positive.
Reconnaître la légitimité d’un sentiment pénible ne signifie pas faire appel à la complaisance ni prendre une position de « victime » (du destin, de ses parents, de ses voisins). Mais par la compréhension des faits qu’elle suppose, la reconnaissance aide à se détacher de ce qui fait souffrir. Il s’agit de retrouver dans le malheur, et dans ce qu’il cachait, les bienfaits d’un passé dont on ne parvenait à se dégager de l’emprise.
Rétablir la circulation, dénouer les nœuds, libérer de l’énergie, être en accord avec ses attaches, s’accepter… accepter sa part de responsabilité, redonne du cœur à l’ouvrage, et autorise à aller de nouveau de l’avant pour nouer, dans un premier temps, d’autres liens. Et, dans un second, renouer, sur un plan symbolique, plus créatif, avec ce lien premier qui nous a donné vie.
L’histoire, les contes, la mythologie, excellent à traduire en mots la mémoire du corps, de l’acte, de la pensée. Ils proposent à notre intelligence des figures dont la lecture aide à comprendre ce que nous vivons. En nous appuyant, d’une part, sur les plus connues de celles-ci, et d’autre part sur des exemples pris dans le quotidien, nous nous appliquerons à travers le prisme de « l’impensé » généalogique et familial, et différents phénomènes de transmission, à approcher les difficultés inhérentes à la séparation, pour mieux les appréhender, dans leur complexité.
Puis nous essaierons de livrer quelques clefs dont la portée dynamique a eu l’occasion de faire ses preuves, pour permettre à chacun de réussir, au mieux de ses capacités, cette séparation aussi difficile qu’indispensable. À couper le cordon… pour renouer des liens plus heureux.
Sachant que tout projet de vie dépend autant de soi, et de sa créativité, que des données de départ, nous irons aux sources de ce qui en nous peut animer le sentiment d‘abandon.
En découvrant en quoi il fait sens, nous y puiserons les « ressources » propres à alimenter notre désir, notre courage, et à ouvrir quelques perspectives plus heureuses.
* Virginie Megglé est psychanalyste en région parisienne, auteur d’ouvrages et animatrice du site «Psychanalyse en mouvement».
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